Grelot, Guillaume-Joseph (1670)
Entre le 3 et le 11 juillet 1670
Originaire de Melun, le dessinateur Guillaume-Joseph Grelot (av. 1630 - ap. 1680) est entré à Rome au service du numismate et médecin Jean Foy-Vaillant qui avait reçu de Louis XIV la mission de se rendre dans l’Empire ottoman, sans doute pour y collecter des monnaies, des manuscrits ainsi que des informations sur le pays et la société des régions qu’il visitait. Partis de Smyrne le 3 juillet 1670 à bord d’un vaisseau turc, les deux hommes sont arrivés à Constantinople le 11 de ce mois, après avoir traversé les Dardanelles et longé la côte septentrionale de la Propontide. Dans son récit, Grelot fait état de la beauté naturelle des Îles des Princes que les Grecs appellent Papadonisia (Îles des Prêtres) ou Îles des Moines. Celles-ci sont décrites comme un lieu où vont s’enivrer les Turcs, puis, parlant de leur population, entièrement chrétienne, il s’attarde sur la simplicité du mode de vie des moines en insistant sur leur régime alimentaire, sans pourtant mentionner explicitement aucun des Monastères de l’archipel.
Texte français: Guillaume-Joseph Grelot, Relation nouvelle d’un voyage à Constantinople, Paris, 1680, p. 63-67 (autre numérisation)
À l’extrémité de la Propontide avant que d’entrer à Constantinople, on trouve encore un petit corps d’Isles que les Turcs appellent Papas adasi, les Grecs Papadonisia ou Isles des Moines, et les Européens Isles du Pape et Ilses des Princes. Ces Isles seroient un lieu de délices si des Chrétiens estoient Maistres de Constantinople, chacun y voudroit avoir une maison de plaisance, car elles n’en sont éloignées que de trois ou quatre lieuës que l’on fait assez souvent en une heure et demie ou deux heures de tems. Elles servent de promenade ordinaire aux Européens qui demeurent à Constantinople, aussi-bien qu’aux Perotes et autres Grecs : mais ce qui devroit faire le bonheur de ces Isles est au contraire ce qui cause leur ruine ; le voisinage de Constantinople leur est beaucoup moins utile que desavantageux.
Quand quelque Janissaire ou autre yvrogne Turc veut se divertir, il s’en va aux Isles pour avoir le plaisir de s’y en yvrer avec plus de liberté, car si les Turcs boivent rarement du vin, on peut dire qu’ils ne laissent pas d’avoir le dessein de s’en souler quand ils le peuvent ; aussi ne croient-ils point en avoir goûté s’ils ne s’en ressentent trois jours aprés. Ils vont donc à ces Isles, qui ne sont guère habitées que par des Chrétiens Grecs, pour y boire à toute outrance, et y font en suitte les desordres que peut causer le vin. Ils menacent les pauvres Grecs, les frappent assez souvent, et leur prennent tout ce qui les accommode ; il est bien vray qu’il ne leur arrive jamais guere de les tuer, parce que le meurtre est extremement défendu dans toute la Turquie, et que l’on y pend la bouteille au lieu mesme où elle a causé quelques desordre, mais ils ravagent tellement tous leurs jardins, vignes, vergers, et tout ce qu’ils cultivent à la campagne, qu’ils n’ont pas le cœur d’y rien entretenir ny semer. Et ainsi ces Isles aussi fecondes que charmantes sont presque toutes en friche, il n’y a que quelques Caloïers qui cultivent autour de leurs Convents quelques herbages, legumes, raisins et autres fruits pour l’usage de leurs maisons, et pour régaler avec le poisson qu’ils péchent sans s’éloigner de ces Isles les francs et autres honnêtes passagers qui les vont visiter. Ils n’empéchent point de manger de la viande chez eux quand on l’y porte, quoy-qu’ils soient tous du nombre des Ichtiophages volontaires qui s’en sont interdits l’usage pour toujours.
Ces bons Caloïers sont des Religieux de saint Basile, aussi bien que ceux du Mont Athos ou ἅγιον ὄρος et de toute la Grece, ils suivent tous la même régle et portent tous un mesme habit… [suit une description du régime alimentaire des moines] . Au sortir de ces Isles que je ne décris pas davantage, parce que d’autres l’ont fait avant moy.