Melling, Antoine-Ignace (1795-1800)

Vue des îles des Princes (gravure par A.-I. Melling, 1819)
Date inventaire : 
1795

Entre 1795 et 1800

Antoine-Ignace Melling, fils de Christophe Melling, sculpteur à la cour de Bade, naît à Carlsruhe en 1763. Après une formation en sculpture et en dessin, il entreprend en 1782 un voyage qui le conduit en Italie et en Méditerranée orientale. En 1784 il s’établit à Constantinople où il reste dix-huit ans travaillant, à partir de 1785, comme architecte et peintre de la sultane Hatidje, sœur du Sultan Selim III. Il quitte Constantinople après être tombé en disgrâce et s’installe en France où, grâce à la protection de Talleyrand, il publie le Voyage pittoresque de Constantinople et des rives du Bosphore, ouvrage qui s’intéresse peu à l’Antiquité, mais décrit avec précision la vie et les paysages de la capitale ottomane à la fin du XVIIIe siècle. Melling effectue aussi des voyages en Hollande et les villes hanséatiques, dans les départements français, en Angleterre et dans les Pyrénées. Il meurt à Paris en 1831.

Texte français: Voyage pittoresque de Constantinople et des rives du Bosphore d’après les dessins de M. Melling publié par MM. Treutel et Würtz, Paris, 2 vol., 48 grav., [1809-1819], rééd. Bruxelles 1929; texte p. 39-43, figure n°4.

Vue des Iles des Princes ; la côte d’Asie à droite, et la ville de Constantinople dans le lointain.

Le groupe des Iles des Princes a toujours été considéré comme un des ornements de la Propontide. Elles doivent le nom qu’elles portent aujourd’hui à plusieurs princes grecs qui se virent successivement exilés dans celles de Khalky et de Prinkipo ; s’il est encore de beaux jours pour l’ambition trompée dans ses espérances, sans doute ils en jouirent dans ces riantes solitudes. Les Turcs ont eu l’équité de laisser aux Grecs, leurs premiers habitants, ces îles voisines de Constantinople. Elles n’ont pas conservé leurs anciens avantages ; eleles offrent des parties incultes, particulièrement sur les hauteurs ; on s’aperçoit, en les considérant, que la barbarie y a fait la guerre à la nature ; les rabres qui égayoient des cimes imposantes ont été souvent détruits ; mais le rivage reste toujours orné d’une prodigieuse abondance de fleurs et de plantes aromatiques.

Ces îles sont au nombre de quatre, Proti et Antigone, l’une et l’autre stériles ; Khalky et Prinkipo ; remarquables par la beauté de leurs aspects et par l’air pur qu’on y respire. La première seule (Proti) n’est pas présentée dans cette vue ; elle est cachée par celle d’Antigone, dont on découvre une partie entre deux collines de l’île de Khalky, qui se déploie dans toute son étendue. C’est de Prinkipo que la vue est prise ; il faut s’y placer du côté des Grecs que l’auteur nous montre prenant leur repas du matin. Ils ont chosi le lieu d’où leurs regards peuvent le mieux parcourir les îles de Khalky et d’Antigone, et suivre la magnifique scène que présentent dans le lointain les rivages d’Europe et la mer de Marmara ; on voit auprès de ces Grecs un chanteur qui s’accompagne d’une mandoline, et qui sans doute leur retrace les exploits ou les malheurs d’un de leurs princes. Voilà en effet les chants qui plaisent le plus aux Grecs modernes ; ils parlent peu de leurs ancêtressoit par ignorance, soit parce que le souvenir de tant de gloire leur rendroit trop pénible leur situation présente ; ils choisissent leurs héros parmi ceux qui ont osé quelque fois résister aux Musulmans, et le flegme de leurs maîtres ne s’offense point de cette consolation que goûte dans ses chaînes un peuple asservi ; on a vu quelquefois les Turcs traduire et répéter eux-mêmes ces chants qui les accusent. Un autre Grec assis accompagne le premier d’une flûte champêtre ; un papas debout ; dans une attitude à la fois animée et imposante, semble mêler quelque commentaire de tradition à ce chant héroïque.

Plus loin, un pêcheur s’achemine vers le rivage. La pêche est la prnicipale ressource des insulaires de ce petit archipel ; une mutitude de pélamides, de rougets, de homards, etc., assurent leur subsistance. C’est pour eux que la médiocrité est accompagnée de ses fruits les plus doux ; ils lui doivent presque l’indépendance ; un seul commissaire turc habite parmi eux plutôt comme un compagnon respecté que comme un maître. Leur industrie sait tirer quelque parti de tout ce qui embellit leur séjour. Les fleurs et les arbustes odorants que la nature a prodigués sur ces rivages vont jusque dans les sérails joncher le lit de la volupté, ou servir d’ornements aux festins. Parmi les trésors qu’offre aux botanistes la Flore de ces îles, on remarque une plante dont la fleur a la plus parfaite ressemblance avec une abeille, et qui en porte le nom.

Khalky, cette île formée de trois collines que du rivage de Prinkipo on voit presque entière ne fournit pas moins d’aspects riants et majestueux. Une légère élévation abrite le hameau de Khalky, dont les maisons sont entremêlées de cyprès toujours verts. On aime à suivre un étroit sentier qui conduit au monastère de la Trinité. Quels sentiments l’imagination ne prête-t-elle pas aux pieux cénobites qui de là, comme sous la garde du Très-Haut, contemplent avec sécurité les incendies et les révolutions qui dévastent Constantinople, aussi bien que les tempêtes que la mer élève sous leurs pieds ! Malheureusement les moines grecs dévoués à la fois à l’ignorance et à la ruse par leur extrême pauvreté, sont bien au-dessous des méditations sublimes qui semblent provoquer le séjour qu’ils habitent. Ils entretiennent dans le monastère de la Trinité un hospice où les Grecs malades croient retrouver dans l’air vif de la montagne un nouveau principe de vie. Cette épreuve est fatale, comme on peut le penser, à ceux qui ont la poitrine attaquée personne ne les en avertit. Que les traces de l’ignorance sont pénibles à rencontrer dans des pays si favorisés de la nature !

Une avenue de cyprès, qu’on aperçoit sur le chemin de la colline opposée, conduit à un autre monastère, celui de St.<Nicolas. Plus haut sont les restes d’une tour ruinée. Entre cette seconde colline et la troisième, on remarque une anse où les navires se mettent à l’abri du vent du nord, et qui est désigné par un bâtiment mouillé à son entrée.

Les barques et les voliks disséminés sur ces eaux, portent des provisions à Constantinople ; deux vaisseaux venant des Dardanelles, et fendant à pleines voiles les eaux de la Propontide, cinglent vers cette capitale.

Enfin au milieu des richesses de ce paysage on voit sur la droite la côte d’Asie se prolongeant jusqu’à l’entrée du Bosphore ; on y distingue Maldepé, village turc. Le dernier plan du tableau présente la ville de Constantinople et la côte d’Europe.