Guide "Joanne" (1908)

Date inventaire : 
1908

Avant 1908

Prenant la suite des guides de voyage éditées par L. Hachette depuis 1853, Adolphe Joanne, puis son fils Paul, assurent la direction de cette collection à partir d’environ 1860 jusqu’en 1919, date à laquelle ces livres prennent le nom de Guides bleus.

 

Texte français: Guide Joanne. De Paris à Constantinople, Librairie Hachette, Paris 1908, p. 310-314.

Îles des Princes.

             Les îles des Princes sont groupées dans la mer de Marmara à l’entrée du Bosphore de Thrace, au S.-E. de Constantinople. On les nommait anciennement Papadanisia, c’est-à-dire îles des Prêtres, en turc Papas-Adassi (ou Kizil-Adalar), à cause de plusieurs couvents qui s’y trouvaient ; le nom d’îles des Princes vient de ce qu’elles servirent de lieu de plaisance ou de réclusion aux princes du Bas-Empire.

            Ces îles sont au nombre de neuf, quatre grandes : Proti, Antigoni, Halki et Prinkipo (V. ci-dessous), et cinq petites, inégalement réparties en deux groupes. Les cinq petites sont : — Oxia (la Pointue), ainsi nommée de la forme des rochers escarpés qui la constituent ; isolée avec la suivante au S.-O. de l’archipel principal, stérile et inhabitée. On y aperçoit encore, sur la côte E., les ruines du môle d’un petit port et, au-dessus, celle de l’ancien couvent de Saint-Michel ; — Plati (la Plate), nom tiré de son apparence extérieure. Stérile et inhabitée. À l’E., près du petit port, on aperçoit les restes d’un fort. Au milieu de l’île subsistent encore d’anciennes prisons byzantines souterraines, couvertes de voûtes. Un ancien ambassadeur d’Angleterre, sir Henry Bulwer, y avait fait construire (1857-1865) un palais, qu’il vendit ensuite au vice-roi d’Égypte ; auj. abandonné, ce palais tombe en ruines ; — Pita, ainsi nommée des pins (pitys) qui la couvraient, entre les îles d’Antigoni et Prinkipo ; inhabitée ; Néandros, au S. de l’île de Prinkipo, inhabitée ; — Anterobintos ou Anthirovitha, à l’E. de l’île de Prinkipo ; inhabitée ; elle porte encore les ruines d’un couvent où furent relégués Ignace Rangabé, patriarche de Constantinople, sous Michel le [sic] Théophile, et l’empereur Constantin, fils de Lécapène.

            Les grandes îles sont mises en communication avec Constantinople par des services de bateaux à vapeur.   […]

            15 k. (1 h environ) Proti (il ne vaut pas la peine de s’y arrêter), île formée par un petit massif montagneux terminé par des falaises abruptes de rochers rouges à l’O., incliné au contraire en pentes douces et gazonnées au N. C’est là que se trouve, au fond d’une petite anse qui sert de port, le débarcadère, en avant d’un petit groupe de maisons de campagne entourées de jardins. Elle est  habitée par quelques Arméniens, qui y ont consacré une église à St Georges. Le sommet de la colline, du côté du port, est couronné de quelques rochers de formes bizarres, dans le voisinage desquels on retrouve encore les ruines d’une grande citerne.

            En travers du canal qui sépare cette île de la suivante, on aperçoit distinctement à dr. les petites îles d’Oxia et de Plati, qui font le plus charmant effet.

            18 k. Antigoni […], dont le port se trouve sur la côte E. de l’île de ce nom. Celle-ci a la forme d’un cône ondulé à pentes assez douces, qui projette vers l’O. une petite pointe rocheuse. Le village d’Antigoni, tout composé de villas habitées par une population presque exclusivement grecque, est d’un joli aspect. Il existe deux monastères grecs dans l’île : celui de la Transfiguration, reconstruit en 1869 sur les ruines d’un ancien couvent dont on voit encore les citernes, et celui de Saint-Georges, au sommet de l’île. L’église de Saint-Jean-Baptiste, dans le village, fut bâtie par l’impératrice Théodora, lorsqu’elle eut nommé patriarche Méthode (qui mourut martyr), et à l’endroit même où il avait été emprisonné pendant 7 ans avec deux brigands. […]

            Le navire longe une digue de récifs qui s’étend jusqu’au milieu du canal qui la sépare de l’île de Halki et contourne à g. celle de Pita. Puis il longe la côte O. de l’île de Halki, où l’on voit à dr. l’ancien couvent de la Panaguia, transformé par la communauté grecque de Constantinople en École de commerce. Sur le sommet de la colline qui forme promontoire au N. on aperçoit au milieu des arbres les bâtiments de l’École de théologie du patriarcat orthodoxe.

            Dès qu’on a doublé le promontoire, on découvre l’île de Prinkipo, dont la ville s’élève en amphithéâtre à mi-côte de la colline, tandsi que le navire tourne à dr. pour venir accoster.

            23 k. Halki, anciennement Chalkitis et Démonèse ; son premier nom venait d’une mine de cuivre renommée. Les Turcs l’appellent Hebeli-Ada (île du Bât), à cause de sa forme ; elle se compose en effet de 3 ou 4 collines, dont deux principales séparées par une profonde dépression de terrain. […]

            La ville de Halki […], jolie et séduisante, est bordée d’un quai que baigne l’eau de la mer, si transparente, en cet endroit, qu’on aperçoit les moindres détails du fond. La population, presque toute grecque, de cette petite ville est d’env. 3 000 hab. Elle possède une église, celle de Saint-Nicolas, située en face du débarcadère, réparée en 1857. Sur le quai, à g. du débarcadère, s’élève l’École navale ottomane, construite en 1860. Sur le promontoire qui la domine à g. se trouve le monastère de Saint-Georges. Sur un autre promontoire, qui domine la ville à dr., se montre l’École de théologie, grand séminaire de l’Église orthodoxe (7 000 vol. ; manuscrits précieux). Détruite par un tremblement de terre, elle a été reconstruite à la fin du xixe s., grâce aux libéralités de M. Paul Stefanovitch.

            Sur la côte E., le monastère de la Panaguia, fondé par Jean Paléologue et sa femme, Marie Comnène, restauré en 1786 par le prince Alexandre Ypsilanti, renferme, depuis 1831, une École de commerce. Vers le N., en avant de l’entrée du couvent de la Panaguia, est le tombeau de Sir Édouard Burton, second ambassadeur d’Angleterre sous Mourad III et Mohammed III. Il avait accompagné, en 1596, Mohammed III dans sa campagne de Hongrie ; au retour, il tomba maladeet, pour changer d’air, vint habiter le couvent, où il mourut en 1598. […]

            Après avoir quitté Halki, le navire traverse une magnifique baie, au fond de laquelle s’ouvre l’étroit chenal qui sépare les deux îles, et vient se ranger le long d’un môle en pierre qui sert de débarcadère au port de

            28 k. Prinkipo (en turc Biuk-Ada ; la grande île), la plus importante des îles des Princes, ainsi nommée des reines, princesses et autres personnages illustres que leurs malheurs réduisirent à prendre l’habit dans le couvent de cette île. […]

            L’île de Prinkipo, formée de deux pics séparés par une profonde dépression, a 8 k. de circonférence et surpasse en hauteur toutes les îles circonvoisines. C’est aussi la plus peuplée et la mieux cultivée. Mais comme le sol n’y fournit pas d’eau potable, on lui en apporte tous les jours de Kartal, situé vis-à-vis, sur la côte d’Asie.

            C’est à Prinkipo que fut reléguée l’impératrice Irène, détrônée par Nicéphore au moment où elle projetait de s’unir avec Charlemagne. Elle a été inhumée dans le couvent qu’elle avait bâti. On voit encore à l’E. de l’île, sur le bord de la mer, au lieu dit Kamares, quelques ruines de ce couvent, sous lesquelles fut découverte une mine de fer, exploitée, puis abandonnée.

            La ville de Prinkipo […], toute entière composée de villas entourées de jardins, habitée par une riche colonie grecque et européenne, s’élève en amphithéâtre sur le flanc O. de la colline du N. On y trouve 2 églises grecques orthodoxes, Saint-Dimitri et Sainte-Marie, une catholique, Sainte-Pasiphaé, et une arméno-catholique, l’Assomption. Les rues sont bien entretenues, et une excellente route carrossable qui aboutit à la jetée fait tout le tour de la colline du N., en franchissant le col qui sépare les deux collines. Le panorama est admirable. […]

            […] Au départ du débarcadère, on suit la rue qui monte à dr. et traverse d’abord le quartier le plus pittoresque et le plus élégant de la ville de Prinkipo, puis des jardins plantés de vignes et d’oliviers. À partir d’un moulin à vent situé vis-à-vis de Halki, elle commence à descendre dans un riant vallon, dont on remonte le fond vers la g. jusqu’au col, où se trouvent deux petits cafés. C’est la première halte. Du col […], par un chemin qui n’est plus carrossable, on peut gagner (15 min.) le monastère de Saint-Georges sur la colline du S. […]. Au-delà du col, la route descend sur la côte E. par un second vallon, à l’entrée duquel se trouve le couvent de Saint-Nicolas ; près de là on retrouve les traces d’une tour byzantine. À partir de ce monastère une bonne route qui longe tout le rivage E. de l’île ramène au débarcadère de Prinkipo.

            […]  Suivant d’abord au départ du débarcadère la même route que dans la précédente excursion, on la quitte bientôt pour prendre sur la g. un chemin non carrossable, frayé au travers d’un bois de pins, qui conduit au sommet de la colline du N. On y trouve, à dr., le monastère de la Transfiguration ou de Christos, construit en 1597 et qui n’a rien de remarquable, mais qui se trouve placé au milieu des plus belles parties de la forêt de pins. À g. petit cabaret rustique. Puis on descend l’autre versant de la colline jusqu’au col (V. ci-dessus). De là on gravit par un sentier pittoresque le flanc du pic du S. au sommet duquel se trouve, à 200 m d’altit., un couvent grec consacré à Saint-Georges, composé de masures sans intérêt. La situation de ce couvent est admirable : il s’élève sur un amoncellement de rochers dénudés et pittoresques  d’où l’on domine la mer et les collines de l’île. Un petit cabaret situé sur le plateau permet de contempler la vue et de se reposer à l’aise. Les environs, couverts d’une riche végétation de myrtes et de térébinthes, présentent plusieurs sites d’un aspect très sauvage. On peut revenir à Prinkipo par le chemin suivi à l’aller, ou, à partir du col, prendre l’une des branches de la route carrossable (V. ci-dessus).