Roe, Thomas (1625)
De juillet à fin octobre 1625
Né en 1581 à Low-Layton, Thomas Roe fait ses études à Oxford, puis suit une carrière dans les affaires publiques. Anobli par le roi Jacques 1er en 1604, il est envoyé par le prince de Galles comme explorateur en Amérique (1610-1611). En 1615 il est envoyé comme ambassadeur auprès du Grand Mogol où il séjourne trois ou quatre ans. Revenu en Angleterre, il est élu député à la Chambre des Communes puis, en 1621, il est nommé ambassadeur à Constantinople où il reste jusqu’en 1628. Durant ce séjour, il se lie d’amitié avec le Patriarche Cyrille Loukaris qui l’invite en 1625, après un tremblement de terre et l’épidémie de peste qui suivit, à se réfugier à Chalki, où il reste pendant environ quatre mois. Ambassadeur en Suède et au Danemark en 1630, chancelier de l’Ordre de la Jarretière en 1636-1637, membre du Privy Council en 1640, il accomplit sa dernière mission à Vienne en 1641. Il meurt à Bath en 1644.
Roe a réuni une importante collection de manuscrits grecs et orientaux, dont plusieurs proviennent des bibliothèques de Chalki, qu’il céda plus tard à la Bodleian Library d'Oxford. La lettre publiée ci-après témoigne de l’intérêt porté par plusieurs personnalités de son époque en Angleterre, notamment l’archevêque de Canterbury et Thomas Howard, Lord d’Arundel, aux manuscrits grecs et orientaux que Roe, parmi d’autres, est chargé d’acquérir pour ses commanditaires. Plusieurs des livres mentionnés dans ce document font partie de la Bibliothèque du monastère de la Sainte-Trinité de Chalki.
Texte français : Jean-Pierre Grélois
Au Dr Goade, chapelain de Monseigneur l’archevêque de Cantorbéry
Monsieur,
J’ai reçu une grande quantité d’encouragement de votre aimable lettre et je vais m’efforcer de mériter la bonne opinion dont vous m’avez fait part : ce que j’ai fait, je l’ai relaté à Sa Grâce qui, je n’en doute pas, vous le rapportera, ce dont je ne peux juger pour l’instant. Le Patriarche est avare et ses promesses sont mystérieuses : je crois bien qu’il a des trésors qu’il ne connaît pas, car il rassemble des livres provenant de monastères et lors de vacances d’évêchés : j’en obtiendrais certains si j’étais capable de choisir. Le manuscrit des anciens canons, mentionné à Sa Grâce, est le joyau de l’Orient. J’ai visé dans ma lettre à des choses qui dépassent mon entendement et mes compétences ; vous voudrez bien excuser mon ignorance au nom de mon amour des lettres, mais je suis persuadé que ce livre éclairera et éclaircira de nombreux points douteux et controversés, et je suis sûr que Binny fait maintenant profession de publier le concile de Nicée, grâce au travail d’un autre Jésuite, à partir de ce seul livre, car il n’y en a pas d’autre si le Jésuite en a joué ( ?) et l’a mutilé : mais il y a d’autres long traités sur ce concile, qu’il n’a pas et que je ne peux comprendre pour l’instant : il me suffira d’en étudier les titres. Mr Petty, un digne gentilhomme, et lettré, employé ici pour des antiquités par Mgr d’Arundel, eut accès par mon entremise à la meilleure bibliothèque connue en Grèce où il y a quantités de manuscrits anciens ; et il usa d’un tel artifice qu’avec l’aide de certains de mes serviteurs, il en emporta 22. Je pensais devoir en avoir ma part, mais il était égoïste : il sait bien choisir, a tout vu, ou presque, et pris, je pense, ce qui était et sera de grande estime. Il parle sobrement d’un tel butin, mais ne peut se retenir parfois de laisser voir avec joie ses trésors. Des Histoires, Éphrem et Manassès, deux Pères grecs, Phocion , Eusèbe et quelques autres noms que j’ai oubliés. Quand il reviendra, je ne doute pas qu’il fera savoir et contribuera au bien public, car je le tiens pour un digne homme. Je pensais avoir un état de cette bibliothèque, mais il lui donna un tel blow (?) sous ma confiance(?) qu’elle a depuis été fermée à deux clefs dont l’une est gardée par les bourgeois qui ont intérêt ou tutelle sur le monastère, de sorte que je ne peux rien faire de bon : mais je maintiens avoir un bon titre sur quelques-uns d’entre eux . Bien qu’entre ses mains j’estime qu’ils sont en sûreté pour le même usage ; mais mon espoir est de traiter avec le Patriarche et de ne pas compter sur moi-même ni sur la chance.
Le baron de Sanoy, maintenant clerc au service de Sa Majesté d’Angleterre, pilla toute la Grèce avec une grande diligence et une bourse bien garnie : il emporta deux livres empruntés à l’ancien patriarche, ce dont l’actuel se lamente fort, il ne connaît pas les noms, et l’Église s’était vu promettre la restitution, soit en imprimé, soit des mêmes ; mais rien n’a eu lieu ; ces livres étaient hautement estimés ici, et ils sont sans doute allés à Rome, chez un chapeau rouge .
Ce que j’ai obtenu ne vaut pas d’être nommé, mais vous l’aurez : la Bible de Thècle avec des notes : le Patriarche la donna et l’estime être un exemplaire de sa propre main et une relique ; mais Mr Petty pense qu’elle n’est pas si ancienne : un ancien commentaire de toutes les épîtres de saint Paul, sans nom d’auteur : la Vie de Constantin et d’Hélène avec l’invention de la Croix : un grand et beau manuscrit, avec une partie de Chrysostome, Damascène, Éphrem, André archevêque de Crète, Basile le Grand ; Grégoire, Nectaire, traités divers et autres ; mais ce sont, je doute, des fragments ; traités d’Anastase, je pense, non existants : un commentaire des Psaumes, sans aucun nom : un petit livre sur les constitutions des évêques orientaux pour le gouvernement de l’Église et leurs principes, datant d’environ 150 ans, un livre de bon usage, je pense, mais je ne peux le comprendre : Nicolas Caliocandes , une Histoire des derniers empereurs grecs et du commencement des Turcs : Possevino note un Motesone (?) de ce nom en imprimé, mais l’appelle Léonice ; ce qui me fit espérer qu’il s’agissait d’un autre et non existant : un autre de Chrysostome, et Grégoire de Nazianze. Un manuscrit hébraïque avec des livres d’Aristote, Avicenne et quelques philosophes. J’ai recueilli ceux-là comme des rebuts : j’aspire à de plus hautes et plus grandes affaires et j’estime les conciles dignes d’une bibliothèque : je chercherai Cysippus (?) ; et, pour conclure, je ne laisserai rien échapper que je puisse obtenir. Si je peux recevoir de vous quelques instructions supplémentaire, je m’efforcerai de les exécuter quand j’en arriverai au marchandage : je montrerai d’ailleurs mon ignorance et commettrai de grandes erreurs, car il y a ici 500 grands livres assez anciens, mais s’ils sont communs et imprimés, quel avantage pour nous ?
Vous me ferez la faveur de rappeler mes services au Dr Fetlye et à Sir Thomas Hatton. Et désirant ainsi être béni dans vos prières, je vous confie à la sainte garde de notre gracieux Dieu, restant
votre ami affectionné à votre service.
Constantinople, le 8 [18] avril, veille de Pâques 1626.
To Dr. Goade, Chaplain to my Lord Archbishop of Canterbury.
Sir,
I haue receiued a great measure of encouragement by your freindly letter, and will, by Gods grace, endeauor to repay that good opinion you haue lent mee : what I haue done, I haue related to his grace, who, I doubt not, will acquaint you ; as yet I cannot judge. The patriarch is fast handed, and his promises are misteriall : I do beleeue hee hath treasures hee doth not know ; for hee gathers bookes from monasteries, and by uacancies of bishops : some I shall gett, if I were able to choose. The manuscript of ancient canons, mentioned to his grace, is the jewell of the East. I haue aymed at things, in my letter, aboue my understanding, and out of my profession ; you will help to excuse my ignorance, for my affection to learning : but I am perswaded that booke will enlighten and cleare many doubts and controuersyes, and I am sure Binny yet professeth to publish the councell of Nice, by the labor of another Jesuite, out of that indiuidual book, for there is not another hath played the Jesuite, and maymed it : but there are other long treatyses of that councell, which hee hath not ; nor as yet I cannot understand them :it shall suffice mee, to study the titles. Mr. Petty, a woorthy gentleman and learned, employed hither by my lord of Arundell, for antiquities, by my meanes had admittance into the best library knowne of Greece, where are loades of old manuscripts ; and hee used so fine arte, with the helpe of some of my seruants, that hee conueyed away 22. I thought, I should haue had my share, but hee was for himselfe : hee is a good chooser, saw all, or most, and tooke, I thincke, those that were, and wil be of greate esteeme. Hee speaketh sparingly of such a bootye, but could not conteyne some tyme to discouer, with joy, his treasure. Historyes some, Ephraim and Manasseth two Greeke fathers, Phocion, Eusebius, and some other names that I haue forgott. When he returnes, I make no doubt he will communicate, and contribute to the publicque good ; for I esteeme him a woorthy man. I meant to haue a reuiew of that library ; but hee gave it such a blow, under my trust, that since it hath beene locked up under two keys, where of one kept by the townsmen that haue interest or ouersight of the monastery, so that I could doe no good : but I hold my selfe to haue good title to some of them, though in his hands I esteeme them safe for the same use ; but my hope is, to deale with the patriarch, and not to trust to my selfe, and to chances.
The barron of Sanoy, now a clergyman, and attending her majestie in England, with great industrye, and a strong purse, robbed all Greece : hee carried away two bookes borrowed of the old patriarch, of which this doth much lament ; he knowes not the names, and the church was promised restitution, eyther in stampe, or by themselues ; but nothing performed ; these bookes were highly esttemed here, and are doubtless gone to Rome, toward a redd hatt.
What I have gotten, is not woorth the naming ; yet you shall haue it : Teclaes bible with notes : the patriarch gaue it, and esteemeth it a coppy of her own hand, and a relicque ; but Mr. Petty thincks it not so ancient : a old comment upon all St. Paules epistles, without the name of the author : the life of Constantine, and Helena ; with the inuention of the cross : an great fayre manuscript, with part of Chrisostome, Damascen, Ephraim, Andreas ar[ch]bishop of Crete, Basill the great ; Gregorye, Nectarius, variæ tractationes, and others ; but there are, I doubt, fragments : Anastasius treatesies [= treatises], I thincke, not extant : a comment on the Psalmes, without name throughout : a little booke of the constitutions of the bishops of the East, for ecclesiasticall gouernement, and their tenets, about 150 years since ; I suppose a booke of good use, but I cannot understand it : Nicholas Caliocandes, an historye of the latter Greeke emperors, and the beginning of the Turkes : Posseuine notes one Motesone of that name in print, but calls him Leonice ; which made mee hope this may bee another, and not extant : another of Chrisotome, and Greg. Naz. An Hebrew manuscript, with bookes of Aristotle, Auicen, and some philosophers.These I have picked up, tanquam quisquiliæ : I ayme at higher and greater matters, and I esteeme the councells woorth a librarye : I will search for Cysippus ; and, to conclude, will let goe nothing I can gett. If I may receiue any farther directions from you, I shall endeauour to execute them, when I come to bargayne : I shall else shew my ignorance, and committ great errors ; for here are 500 great bookes old enough, but if common and printed, quid nobis lucri ?
You shall doe mee a fauor to remember my seruice to doctor Fetlye, and Sir Thomas Hatton. And so desiring to be blessed in your prayers, I commit yow to the holy keping of gour gracious God, resting
Your affectionat frend to do your seruice.
Constantinople, 8 [18] Aprill, Easter-eaue, 1626.