Olivier, Guillaume-François (entre 1793 et 1798)

Guillaume-Antoine Olivier en tenue d'académicien
Date inventaire : 
1793

Entre 1793 et 1798

(Séjours à Constantinople : mai à novembre 1793 ; automne 1795 ; octobre 1797 à mai 1798)

Né à Arcs (Var) en 1756, Guillaume-Antoine Olivier, médecin de formation, est naturaliste et entomologiste. Installé à Paris à partir de 1783, il reçoit en 1792 du gouvernement de la République, en même temps qu’un autre naturaliste, Jean Guillaume Bruguière, la mission de voyager dans l’Empire ottoman et les pays adjacents afin de recueillir des renseignements sur ces pays et sur les possibilités de développement du commerce français dans ces régions. Partis de Paris en novembre 1792, les deux compagnons quittent Marseille en avril 1793 et arrivent par mer à Constantinople en mai de cette même année.

Pendant leur séjour en Orient ils ont effectué deux longs périples dans les îles grecques et l’Égypte (1793-1795) ainsi qu’en Perse (1795-1797). Ils quittent définitivement la capitale ottomane en mai 1798. Bruguière meurt à Ancone sur le voyage du retour en septembre 1798, tandis qu’Olivier arrive à Paris en décembre de cette même année. Devenu membre associé, puis membre de l’Institut, il meurt à Lyon le 1er octobre 1814.

Favorablement accueilli à sa parution, son ouvrage Voyage dans l’Empire othoman, l’Égypte et la Perse (3 volumes in 4o et un volume de planches, en 1801, 1804 et 1807) a été traduit en anglais, en allemand, en hollandais, en espagnol et en italien, mais n’a pas connu de réédition en France.

Texte français: Voyage dans l’Empire othoman, l’Égypte et la Perse, fait par ordre du Gouvernement, pendant les six premières années de la République, par G. A. Olivier de l’Institut national, de la Société d’Agriculture du département de la Seine, I, Paris, an 9 [= 1801], p. 140-147.

Les îles connues sous le nom d’Iles des Princes, sont au nombre de quatre grandes et cinq petites. La première se nomme Prota, la seconde Antigona, la troisième Chalkis et la quatrième Prinkipos; au sud de celle-ci se trouve la petite île des Lapins: à l’ouest sont deux petites îles, dont l’une est connue sous le nom d’Oxya, et l’autre sous celui de Plata: les deux autres ne sont que des rochers sans nom.

… Le trajet de la ville de Prinkipos à celle de Chalkis est à peu près d’une lieue, et l’on trouve toujours des caïques prêts à vous y conduire. Nous avions fait prévenir le supérieur du monastère de la Trinité, du jour où nous irions visiter son couvent et lui demander à dîner, afin de ne pas le trouver au dépourvu; car en géneral les caloyers sont fort sobres et font très-maigre chère. On est heureux de trouver dans leur couvent, du miel, des œufs et quelques fruits. Pour acquitter les politesses que l’on reçoit chez eux, on ne manque jamais de visiter l’église, et de laisser dans un bassin les pieces de monnaie que l’on juge convenable de donner.

Ce monastère, situé sur une colline presqu’au milieu de l’île, jouit d’une vue charmante : on y respire un bon air, et il n’est pas rare d’y trouver une nombreuse société, parce que des Européens et même des Grecs viennent souvent y passer une partie de l’été, loin du tracas et du tumulte de la capitale. Nous nous arrêtâmes long-tems à considérer sur la porte de l’église la représentation de l’enfer, du purgatoire et du paradis, quoique la peinture en fût très-mauvaise. L’enfer était rempli de Musulmans, d’évêques, d’archevêques et de Grecs richement vêtus ; le purgatoire et le paradis n’étaient peuplés que de caloyers, de papas ou de prêtres, et de Grecs plus simplement vêtus. Nous demandâmes aux religieux qui nous accompagnaient, s’ils ne craignaient pas quelque mauvaise affaire de la part des Turcs pour les damner ainsi. Ils nous dirent que cela leur était arrivé une fois, mais qu’ils s’en étaient tirés moyennant quelqu’argent. Ils ajoutèrent qu’ils mettaient un grand prix à leur tableau, et qu’ils le conservaient tant qu’ils pourraient, sans trop se compromettre.

Il y a un autre monastère au sud-est de l’île, remarquable par plusieurs belles allées de cyprès et par un bois de pins, par un bâtiment spacieux et par le nombre des caloyers qui s’y trouvent. Celui-ci, quoique très-agréablement situé, ne jouit pas comme l’autre, d’une vue si étendue et si variée.

Il y a pareillement deux monastères à Prinkipos, situés dans les endroits les plus élevés et les plus solitaires de l’île. Les caloyers se livrent à la culture des champs qui dépendent de leur monastère, ou à quelqu’industrie utile à la communauté. Leurs besoins sont très-bornés, parce qu’ils n’ont jamais permis au luxe de s’introduire chez eux : leur santé se maintient long-tems forte et vigoureuse par un travail modéré, par la sobriété et par la paix de l’ame ; et ce qui fait peut-être leur plus grand bonheur, des Turcs ne viennent point troubler le repos et la tranquillité qu’ils goûtent dans ces lieux.

Chalkis est moins considérable que Prinkipos, et son village est un peu moins étendu ; ses productions sont à peu près les mêmes, et le sol présente partout des indices de volcan. On trouve sur la colline la plus voisine du village, une roche dure, cassante, qui paraît ferrugineuse ; et vers le sud-est de l’île, une mine de cuivre qui paraît avoit été anciennement exploitée : c’est probablement de là qu’est venu le nom de Chalkis, du mot grec χαλκός, qui signifie cuivre : mais nous n’avons rien vu qui indique la mine dont Aristote et Etienne de Bysance ont parlé.

Si les Turcs étaient capables d’apercevoir qu’il est facile de se garantir de la peste en prenant contre ce terrible fléau les précautions que l’on prend en Europe, la position des îles des Princes serait sans doute inappréciable pour remplir cet objet, et garantir par mer la capitale : on pourrait établir un lazaret à Prota ou à Antigone, parce que ces îles ont très-peu d’habitants, et parce que les navires y mouillent en toute sûreté. Il existe encore dans la première de ces deux îles les ruines d’un village et deux monastères, qui attestent qu’elle est susceptible de quelque culture, et qu’elle peut offrir des lieux de promenade et de récréation pour les personnes qui seraient obligées d’y faire quarantaine.